Lettre ouverte : demande de reconnaissance anticipée du statut d'utilité publique pour Innocence en Danger Luxembourg
À l'attention de Madame la Ministre de la justice, Elisabeth Margue
Objet : Lettre ouverte : demande de reconnaissance anticipée du statut d'utilité publique pour Innocence en Danger Luxembourg
Madame la Ministre,
Nous vous écrivons aujourd'hui avec gravité et urgence. Notre association, Innocence en Danger, œuvre chaque jour au service des mineurs victimes de violences. Elle ne répond pas à une simple vocation : elle répond à un besoin vital, à une détresse immédiate et à une urgence humaine. Nous vous écrivons, portés par les cris silencieux de tant d'enfants victimes de violences sexuelles et d'adultes brisés, victimes dans l'enfance.
Notre association, Innocence en Danger, existe depuis plus de 25 ans dans plusieurs pays : France, Allemagne, Belgique, Suisse, Colombie. En France, Innocence en Danger se constitue partie civile auprès de victimes dans des centaines de dossiers par an, et ce, depuis 2005. Chaque année, nos actions bénéficient à 400 familles en moyenne, représentant plus de 1000 enfants victimes. Notre association a fait ses preuves sur le terrain, au service des victimes, à travers nos séjours de résilience, dans les tribunaux et sur la prévention des violences sexuelles sur les mineurs. Elle agit avec rigueur et professionnalisme et bénéficie d'une reconnaissance internationale pour son expertise.
En 2024, nous avons créé Innocence en Danger Luxembourg, convaincus que le Grand-Duché avait besoin d'une association spécialisée, solide et immédiatement opérationnelle pour répondre à ces enjeux cruciaux. Les chiffres et le terrain l'illustrent chaque jour, il est urgent d'agir. Selon la dernière étude publiée dans The Lancet, 21,5% des femmes et 13,8% des hommes ont subi des violences sexuelles avant l'âge de 18 ans au Luxembourg. Le Planning Familial l'a rappelé dans son rapport sur l'année 2024, 65% des victimes de violences sexuelles accompagnées au Luxembourg durant l'année 2024 ont subi une violence sexuelle avant l'âge de 18 ans et près d'une victime sur trois avant l'âge de 12 ans. Au Luxembourg, un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles.
Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques, ce sont des vies fracturées et des enfances volées. Derrière chaque pourcentage, il y a une voix, une souffrance et un besoin immédiat d'écoute et de soutien.
C'est précisément la mission d'Innocence en Danger Luxembourg et pourtant, aujourd'hui, le cadre administratif exige que nous attendions trois années avant de pouvoir être reconnue d'utilité publique et donc nous constituer partie civile auprès des victimes. Nous ne pouvons pas mettre en pause la protection des mineurs. Pas trois ans. Pas trois mois. Même pas trois jours.
Chaque jour notre association est témoin de la solitude des enfants, adolescents et adultes victimes de violences sexuelles dans l'enfance qui ont en commun une même détresse : celle d'avoir subi l'impensable et de devoir, ensuite, affronter seules un système judiciaire qu'elles connaissent peu, et qui bien souvent les dépasse.
Au-delà des procédures, ce que ces personnes demandent est profondément humain : être entendues, crues et accompagnées. Trop d'entre elles se heurtent à un silence institutionnel, à des délais qui s'étirent, à un manque d'informations claires sur leurs droits et sur les étapes à venir. Notre association tente d'y répondre au quotidien : en leur offrant un espace d'écoute sécurisant, en les aidant à comprendre leurs droits, en les accompagnant dans leurs démarches judiciaires et administratives, en leur rappelant qu'elles ne sont pas seules. Mais notre action a ses limites si elle ne s'inscrit pas dans un cadre judiciaire réactif, humain et accessible.
Rappelons que dans ce contexte déjà difficile, nous avons été profondément choqués de constater qu'un journal luxembourgeois reconnu a offert une tribune publique à un pédocriminel condamné en premier instance. Ce geste envoie un message extrêmement douloureux aux victimes : celui que la voix des agresseurs d'enfants peut résonner plus fort que la leur.
C'est pourquoi, nous sollicitons, Madame la Ministre, une dérogation exceptionnelle au délai requis pour la reconnaissance d'utilité publique. Elle nous permettrait d'élargir notre action, d'accéder à des financements essentiels et d'affirmer notre légitimité à agir immédiatement, efficacement et durablement auprès des victimes.
La loi impose en principe un délai de trois ans d'existence avant de pouvoir solliciter le statut d'utilité publique. Cependant, nous sollicitons respectueusement une dérogation à ce délai, au vu de l'urgence sociale de notre mission, de l'expérience du réseau international dont nous faisons partie, et de la nécessité impérieuse d'agir immédiatement pour les enfants victimes au Luxembourg.
Madame la Ministre, vous avez le pouvoir d'accélérer cette reconnaissance. Et en le faisant, vous enverrez un message fort : que la protection des enfants n'attend pas. Qu'aucune voix ne doit être laissée sans réponse. Nous faisons appel à vous non seulement en tant que responsable politique, mais aussi en tant que femme, en tant qu'être humain. Vous avez le pouvoir d'agir là où l'attente est synonyme de souffrance. Accorder cette dérogation est bien plus qu'un geste administratif, c'est un acte de courage, de responsabilité et d'humanité. C'est dire haut et fort que les enfants comptent plus que les délais. Que leur sécurité ne se négocie pas. Que face aux violences, il n'y a pas de place pour l'attentisme, ni pour le silence.
Nous restons bien entendu à votre disposition pour tout complément d'information ou entretien, et vous prions d'agréer, Madame la Ministre, l'expression de notre haute considération.
Signataires :
Homayra Sellier, fondatrice et présidente d'Innocence en Danger
Eolia Verstichel-Boulanger, vice-présidente d'Innocence en Danger Luxembourg
Maître Nathalie Sartor, avocate d'Innocence en Danger Luxembourg